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Laurence Parisot, présidente du Medef : « La liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail. » Dit autrement, cela donne : « La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail ne le serait-il pas ? »
L’exploitation capitaliste suppose le libre échange de la force de travail, forme que prend un rapport fondé sur la séparation entre la classe des travailleurs – salariés obligés de vendre leur force de travail car ils ne possèdent qu’elle – et la classe des capitalistes – détenteurs privés des moyens de production et de subsistance.
Le droit du travail, codification institutionnelle du niveau d’exploitation, exprime les compromis sur lesquels débouchent les conflits de classe. Il permet en même temps au système de fonctionner malgré l’ampleur du déséquilibre des forces. Il est ainsi constat et enjeux des rapports de forces entre les classes.
Les premiers droits du travail ont été établis autour des questions de santé au travail au travers des interdictions du travail pour les enfants, les femmes et de la limitation du temps de travail. En France, c’est la loi qui structure le droit du travail. Mais depuis la fin des années 1970, la défense de la liberté d’entreprendre et de la prétendue défense de la liberté individuelle ont conduit les gouvernements sous la pression du patronat à individualiser les relations entre l’employeur et le salarié et à libérer les accords collectifs au niveau des entreprises des contraintes légales ou conventionnelles. Systématisé par le rapport De Virville en 2004, ces attaques ont donné naissance à un nouveau Code du travail en 2008 qui, au travers d’une réécriture complète, affaiblit les droits des travailleurs en accroissant leur concurrence et en les livrant toujours plus aux lois du marché capitaliste qui dicte sa loi à l’indécent « marché » du travail, c’est-à-dire de la force de travail.

Négociations : la machine à détricoter le principe de faveur

Depuis 1945, le principe de faveur structure le doit du travail : l’accord de branche ou d’entreprise ne pouvait déroger à la loi que dans un sens plus favorable au salarié. C’était un obstacle juridique au dumping social entre les entreprises de la branche.
Depuis plus de 20 ans, au nom de la défense de l’emploi, les réformes « assouplissent » le droit du travail pour réduire le coût de la main-d’œuvre. Pour « en finir avec le mythe de la loi à tout faire » (Jacques Delors), s’est opéré à partir de 1982 et de la loi instaurant les 39 heures, une rupture fondamentale : le renversement de la hiérarchie des normes juridiques. Il devient possible de conclure des accords d’entreprise moins favorables que la loi sur certains points très limités et dans des conditions encadrées. Depuis ces exceptions se sont étendues, multipliées, les accords dérogatoires sont devenus de plus en plus faciles à conclure.
La loi Fillon de mai 2004 étend les possibilités d’exception à tout ce que la loi a prévu qu’on ne pouvait négocier. La loi de 2008 (avec une partie ajoutée à la « position commune » signée par la CGT et la CFDT sur la représentativité, à « l’insu de leur plein gré »), confirme et étend la possibilité d’accords d’entreprise autonomes par rapport à la loi ou la Convention collective. Ceci ouvre la porte à la recherche d’une meilleure compétitivité par la destruction des acquis des salariés.

Le droit de grève attaqué

C’est un droit récent pour une pratique ancienne. Jusqu’en 1864, la grève était un délit qui a envoyé en prison des milliers d’ouvriers. Jusqu’en 1945, elle était un motif de licenciement, qui a touché des dizaines de milliers de grévistes, comme les 18 000 cheminots révoqués en 1920. À partir de 1946, elle devient un droit constitutionnel, étendu aux fonctionnaires. Rapidement, il est limité (CRS en 1947, matons en 1958, aiguilleurs du ciel en 1964…). Le préavis est instauré en 1963 dans la fonction publique, le service minimum à partir de 1979 dans divers secteurs (radio-télé, santé dans certaines limites…).

L’objectif des dernières attaques est de briser l’efficacité des grèves dans les transports publics et les secteurs économiquement décisifs.
La loi de 2007 concernant les transports ne prévoit pas la réquisition, ni le service minimum, mais rend beaucoup plus difficile l’exercice du droit de grève (préavis prolongé, déclaration d’intention du salarié), augmentant le risque que les grévistes soient en faute.
Les réquisitions utilisées contre les grévistes des raffineries et dépôts sont l’application d’une loi de 2003 qui donne ce droit au préfet en cas d’« atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques ». Elles ont été introduites au beau milieu de la loi contre la délinquance et de la criminalité (prostitution, mendicité, gens du voyage, rassemblements dans les halls d’immeubles…) par un amendement gouvernemental alors que Sarkozy était ministre de l’Intérieur.
Même si les tribunaux administratifs n’autorisent la réquisition que d’un nombre limité de salariés pour un « service minimum », on voit ce qui est en jeu : rendre impossible le blocage de l’économie par une grève bouchon.
Ces limites visent à combattre les secteurs qui sont à la pointe des mobilisations hostiles à leurs projets. Sarkozy, l’ami des patrons, le sait bien : l’histoire des avancées sociales pour les salariés, c’est l’histoire des grèves, des luttes ouvrières.

Plusieurs conditions doivent être réunies pour la réquisition :
- la situation d’urgence ;
- l’exigence liée à une atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques ;
- les moyens dont dispose le préfet ne lui permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police.

Lorsque ces trois conditions sont réunies le préfet peut prendre, par arrêté motivé, et sous le contrôle du juge administratif, les mesures suivantes :
- réquisitionner tout bien ou service ;
- requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien ;
- prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées.
L’arrêté motivé fixe : la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition et les modalités de son application.

Le licenciement, outil de gestion social et économique

Le contrat de travail et donc sa rupture sont au centre du droit du travail. Pour celui qui achète la force de travail et dispose du pouvoir économique et politique de subordination, c’est un droit de licencier. Les règles entourant cette rupture sont donc un enjeu majeur pour le patronat, et les « innovations » n’ont pas manqué ces dernières années. L’idée centrale est de lever les « rigidités » institutionnelles pour « fluidifier » les relations sociales et améliorer la « performance » du marché du travail. Cela suppose la « sécurité juridique » des licenciements, quelle que soit leur cause, c’est-à-dire accroître la flexibilité, limiter l’impact des contentieux et conflits et mieux maîtriser leur coût.
Le droit du licenciement économique (42 % des licenciements en 2008 et 2009 selon l’Insee) et l’instauration de la rupture conventionnelle du contrat de travail l’illustrent.
Les sources réglementaires et jurisprudentielles du droit du licenciement économique donnent aux salariés, d’une part, des droits collectifs : consultation des représentants du personnel sur les motifs des restructurations et des suppressions d’emplois, expertise comptable et juridique pour les comités d’entreprise, contrôles partiels du juge et de l’administration sur la régularité des procédures et le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). D’autre part, le salarié dispose de droits individuels : conformité du motif économique invoqué aux critères juridiques en vigueur, obligation de reclassement, critères d’ordre des licenciements.
Ces droits peuvent servir d’appui dans les mobilisations ou la contestation individuelle d’un licenciement. Mais ils sont différenciés. Ils varient selon la taille de l’entreprise, la présence ou non de représentants du personnel, le caractère individuel ou collectif du licenciement, l’importance du licenciement collectif ou le statut contractuel des salariés (CDI, CDD, intérimaires). Le droit est moins construit pour traiter des licenciements en fonction des conséquences pour les salariés que pour permettre la gestion « sociale » des restructurations susceptibles d’entraîner des luttes collectives.
La définition du motif économique et les règles qui en découlent n’ont pas pour objet d’empêcher restructurations et licenciements. L’employeur (ou le groupe) reste seul maître à bord, à la fois juge de l’intérêt de ses affaires, de leur bonne marche et de leur organisation, jusqu’au choix des salariés. Le législateur, l’administration et le juge s’interdisent toute ingérence dans la gestion des entreprises, au point que la « liberté d’entreprendre » a été érigée en principe suprême par le Conseil constitutionnel en 2002. Si le Medef réclame un assouplissement de la définition actuelle, sa formulation laisse place à un éventail de causes qui ne se limitent pas au constat de difficultés insurmontables. La Cour de cassation a ainsi introduit en 2006 la notion de sauvegarde de compétitivité, rendant possibles les réorganisations anticipant menaces ou difficultés à venir.
Cela conduit dans la pratique à limiter les débats sur les motifs des restructurations au cadre de l’entreprise et à les présenter comme conséquences de situations économiques imposées (la faute à la crise et à la concurrence) ou d’impératifs comptables relevant du débat entre experts. Or, ils résultent avant tout de choix stratégiques, y compris dans leur déclinaison par le choix du licenciement, impliquant le plus souvent des enjeux au niveau de la branche – décisions dans lesquelles les salariés n’ont aucun droit d’intervention. Ni la consultation des représentants du personnel (seulement indicative, quand elle a lieu dans les règles), ni le contrôle de l’inspection du travail (sans réel pouvoir coercitif en la matière) ni l’obligation de reclassement ou de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement social (voire de « revitalisation » de bassins d’emplois) n’ont pour objet de contraindre les décisions et ne servent jamais de facteur dissuasif ou déterminant. Les victoires judiciaires elles-mêmes n’ont qu’un aspect temporaire permettant de repousser les échéances.
L’enjeu pour le patronat est donc de maîtriser les incertitudes : longueur des procédures de consultation et incidences éventuelles sur le nombre de licenciements, conflits et contentieux, processus de reclassement, coût des mesures sociales, des indemnités supra légales et des contestations. Telle est la motivation de certaines évolutions de la réglementation : limitation à douze mois du délai du recours contentieux pour motif économique, négociation dans les entreprises d’accords « de méthode » aménageant les règles de procédure de consultation ou d’accords « de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » visant à établir de véritables plans anticipés, sans motif préexistant. Il s’agit d’associer à froid les syndicats à la gestion des restructurations et ainsi de prévenir les futurs conflits. Permise par la loi, la substitution de plans de départs volontaires, impliquant la rupture amiable du contrat de travail et le renoncement à toute contestation judiciaire, aux plans de licenciements « secs » relève de la même logique. Un intérêt bien compris par la Cour de cassation qui, par un arrêt d’octobre 2010, exonère l’employeur qui comprime ses effectifs sur la base du volontariat de son obligation de reclassement.
Se dessine ainsi un droit affranchi de la réalité des menaces économiques pesant sur le salarié, visant à lui imputer la responsabilité de la rupture du contrat et à vider de leur (maigre) substance les cadres collectifs et l’exigence de maintien dans l’emploi.

La rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle du contrat de travail, créée en juin 2008 avec la signature des centrales syndicales (CGT et Solidaires exceptés), procède de cette même logique, avec un degré de raffinement supplémentaire. L’exigence de motivation de la rupture du contrat par l’employeur est purement et simplement évacuée au profit d’un accord « de gré à gré » conclu après une procédure très allégée et fondée sur une « liberté de consentement » des parties relevant de la plus parfaite mystification eu égard au lien de subordination.
Le dispositif est bouclé par l’inanité du contrôle ultérieur. L’administration, chargée de l’homologation, ne dispose que d’un délai de quinze jours et n’est dotée d’aucun moyen de contrôle des vices de consentement (la loi ne prévoit elle-même aucun contrôle d’une éventuelle mesure discriminatoire). Elle homologue dans 91 % des cas, le plus souvent tacitement. Quant à un éventuel contentieux devant les tribunaux, il est lui-même restreint par l’absence de motivation qui reporte sur le salarié la preuve d’un éventuel motif. Que peut valoir une contestation sur une rupture à laquelle on a préalablement donné son accord ?
Ce dispositif dote donc le patronat d’un outil pratique qui lui permet à la fois de se prémunir des risques liés à la contestation des licenciements personnels (faute, insuffisance professionnelle) ou présentant un caractère discriminatoire, mais aussi de dissimuler les licenciements économiques ou pour inaptitude et contourner les obligations qui y sont liées, notamment celle du reclassement. Même si la rupture conventionnelle ne peut légalement être mise en œuvre dans le cas d’une procédure de licenciement collectif et si le contournement est plus difficile dans les entreprises dotées d’un comité d’entreprise, des cas de fraude ont déjà été relevés par l’inspection du travail. Elle permet aussi au patronat d’atténuer le coût de la rupture, en renvoyant le montant de l’indemnité à la négociation individuelle et en supprimant le risque de payer des dommages-intérêts, tout en reportant le coût social sur la collectivité puisque la rupture conventionnelle ouvre droit à l’assurance-chômage.
Avec son succès (elle représente 13 % des licenciements en 2008 et 2009 selon l’Insee) se développe ainsi un outil de gestion de la main-d’œuvre, y compris sur critère d’âge (les salariés de 55 ans et plus sont sur-représentés dans ce mode de rupture par rapport à l’ensemble des ruptures de CDI intervenues en 2008 et 2009) et d’évitement de conflits individuels et collectifs fondé sur l’individualisation et l’isolement.
Ces éléments soulignent s’il en était besoin la pertinence du mot d’ordre d’interdiction des licenciements dans son aspect le plus subversif, la contestation même du pouvoir de direction et de disposer du travail d’autrui.

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